dimanche 9 janvier 2011

La jolie légende du sabotier (Légende d'hiver)


Les sabots d’Etiennette.
( Ou la légende du sabotier)
Bientôt en album

L’histoire que je vais vous conter s’est passée, il y a bien longtemps, à l’école de mon village, du temps où la chambre de l’instituteur pouvait être la salle de classe. Mais parfois, un coin de l’étable faisait l’affaire.
Ce matin-là, dans la classe de son père, Jeannot est heureux. Le nez collé contre le carreau givré de la fenêtre, il réfléchit à son bonheur. Fasciné par la barrière blanche de givre, son regard se perd dans une symphonie de blanc et de reflets gris perle. Reflets que renvoie la marche glacée de l’ancienne remise de la ferme, transformée depuis plusieurs années en école. La cour verglacée fait scintiller son drap d’argent sous le soleil. Arbres, branches, brindilles, toits, barrières de bois et grilles de fer, tout est couvert d’un épais velours laiteux, témoin d’un froid intense et sec.
Jeannot vient d’avaler une écuelle de soupe fumante, réchauffée dans la cheminée de l’unique chambre, attenante à la classe, chambre qui sert de logement à la famille depuis sa naissance. A présent, sa mère ramène le seau de braises rougeoyantes pour raviver le poêle de la classe. Ce feu bienveillant, toute la journée, les élèves de la division des grands l’alimenteront avec les bûches, apportées une à une, par les garçons de l’école. Ces bûches, sagement rangées au milieu de la classe séparant la division des grands de la division des petits, sont la richesse de son père, fier d’offrir à ses élèves, un poêle ronflant durant tout l’hiver.
Son père, c’est le maître d’école qui, jour après jour, apprend aux chenapans de la campagne environnante, à lire, à écrire et à compter, excepté de la mi-juin à la fin septembre. Aux temps des moissons, des vendanges, des labours et semailles, il y a mieux à faire pour les galopins des fermes avoisinantes, que de perdre leur énergie à emplir un cerveau qui n’a besoin que de commander à manipuler la faucille, ou à brasser rapidement des javelles.
Son père, précisément, est assis à sa table. L’instituteur calligraphie avec application des lettres, les unes sur des feuilles épaisses et jaunies, les autres sur des cahiers brochés à la main. Les feuilles sont pour les tout petits. Ils ne cornent qu’un coin à la fois et chaque jour la nouvelle feuille rejoint ses consoeurs dans le carton marqué au nom du jeune apprenti scripteur. Les brochures, d’un papier plus fin et plus blanc, sont destinées au plus âgés habitués à manier la plume, le buvard et la règle de bois. Le père s’applique à la lumière vacillante d’une lampe à pétrole dont le globe ne parvient pas à diffuser une clarté suffisante sur la totalité de la table. Tiens! Depuis combien de temps, le père allume-t-il deux chandelles? Est-il devenu riche ou sa vue décline-t-elle? La lampe brûlera jusqu’à ce que le jour soit devenu clair. La chandelle, il faut plutôt dire désormais, les chandelles seront éteintes sitôt les préparations terminées. Jeannot aime à sentir l’odeur de la cire brûlante qui subsiste encore, pendant presque toute la leçon de morale. Ces lumières, ces odeurs le rassurent. Aussi loin que Jeannot puisse remonter dans sa mémoire, il retrouve son père se tenant ainsi à son bureau chaque matin, écoutant la plume crisser sur le papier, allant et venant dans le tracé régulier des pleins et des déliés. La main et son ombre dansent un ballet de boucles et de petits ponts...

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